Texte établi par Roland Laffitte
INTRODUCTION
L’astronomie fut après les époques hellénistique et byzantine, le
fait de la science arabe, c’est-à-dire de la science de langue
arabe, laquelle put bénéficier, grâce à une formidable
entreprise de traduction, sur le patrimoine astronomique immense en langue grecque mais
aussi sur les connaissances indiennes et perses, et apporta à son
tour au savoir en ce domaine prestigieux un essor considérable.
Pour comprendre les caractères des débuts de l’astronomie dans le
Monde latin médiéval, il faut tenir compte du fait que la tradition
de l’astronomie latine classique est relativement faible et que les
textes grecs à disposition est insignifiante. Les érudits éprouvent
donc le besoin de s’abreuver des connaissances en possession des
Arabes. Ils ont parfaitement conscience que ces derniers ne sont pas
les simples détenteurs du savoir antique mais aussi les acteurs d’un
savoir neuf et riche. C’est dans un second temps qu’ayant assimilé
les connaissances transmises grâce aux traductions de l’arabe au
latin que les astronomes médiévaux peuvent innover et s’adonner à
des recherches innovantes. |

Maître arabe et disciple latin
(gravure
du XVIe
siècle) |
Dans un premier temps, c’est-à-dire de la fin du
Xe
siècle juste et dans la première partie du
XIe
siècle, le patrimoine astronomique arabe est transmis à partir de la Catalogne
et se diffuse alors, peut-être par l’intermédiaire de Saint-Fleury
près d’Orléans, vers Reims et Chartres d’un côté, la Lorraine et le
Bade de l’autre.
La prise de la ville de Tolède par Alphonse
VI
de Castille en 1085 met livre des trésors scientifiques aux mains des Latins et fournit l’occasion de constituer, au cours du
XIIe
siècle, des équipes de traducteurs qui fournissent un énorme travail
dans tous les domaines, notamment dans celui de l’astronomie.
Tolède constitue toujours, au
XIIIe
siècle, un pôle de traduction important notamment autour d’Alphonse
X
qui touchait lui-même à l’astronomie, mais les lieux de transmission
se démultiplient : il faut signaler Palerme, autour de
l’empereur Frédéric
II, et les travaux effectuées dans les universités comme Bologne et
Padoue, Paris ou Oxford où s’activent d’excellents arabisants. |
Du fait de l’installation de familles juives venues d’Andalousie,
les Languedoc, notamment avec l’université de Montpellier, apparaît
comme une extension de l’espace ibérique pour ce qui est de
l’acquisition de l’héritage scientifique arabe. A ce courant
participent des érudits comme Rodolphe de Bruges qui enseigne à
Toulouse, et Guillaume l’Anglais, citoyen de Marseille, puis Jacob
Ibn Tibbon.
De son côté, l’Italie, avec Palerme, puis Bologne et Padoue,
constitueront une aire d’activité assez distincte.
Comment s’inscrivent les villes de Languedoc et de Provence dans ce
mouvement ? Si nous devons mentionner ces deux entités politiques,
c’est qu’elles à l’époque séparées par une frontière. Au premier
abord, le Languedoc est aux
XIIe
et
XIIIe
siècles sous l’autorité des comtes de Toulouse, vassaux de la
couronne de France, tandis que le royaume de Provence fait partie du
Saint empire romain-germanique. Les choses sont cependant plus
compliquées. |
Du point de vue politique, les vicissitudes des alliances et des
héritages dynastiques conduisent en 1125 au partage de la Provence
entre le comte de Toulouse, dont l’origine est Saint-Gilles, au
sud-est de Nîmes, et la maison de Catalogne.
De ce fait, la partie des États
provençaux sous le contrôle de Toulouse va être entraînée dans la tempête de la croisade des Albigeois qui
conduit à priver Toulouse de ses possessions provençales en 1216.
Au sortir de cette période troublée, la Provence
revient à la
maison
d’Anjou
dont les regards sont tournées vers la |

Languedoc et Provence au temps de Philippe Auguste,
soit le début du XIIIe siècle
(les
territoires frappés par le croisade des Albigeois sont hachurés) |
Sicile, le Piémont et la péninsule
italienne, tandis qu’en 1271, le comté de Toulouse entre dans le domaine
royal de France.
Du point de vue social et culturel, la frontière géographique et
politique du Rhône ne réduit pas le continuum du tissu humain. Un
exemple en est donné par la famille Ibn Tibbon, émigrée de Grenade
en 1150 : elle s’installe à Lunel, petite cité située entre à Nîmes
et Montpellier, mais les descendants sont actifs, tout au long du
XIIIe
siècle, aussi bien à Marseille qu’à Arles, Montpellier et Béziers.
|
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I.
L’astronomie au XIIe siècle :
1. Raymond de Marseille :
On ne sait pas
grand chose de la vie Raymond de Marseille, sauf qu’il fut actif
dans les années 1130-1140. On lui attribue cependant les ouvrages :
|

Érudit médiéval
(miniature du XIIe siècle) |
* Le Liber cursuum
planetarum
témoigne de la permanence de la culture latine antique et consiste
en la première adaptation, dans le calendrier chrétien et pour une
ville d’Europe, Marseille, des tables planétaires dites de Tolède,
conçues et mises en forme par Al-Zarqâlluh, l’Azarchel des Latins.
Cet ouvrage contient en outre toutes sortes de considérations sur la
place de l’astrologie.
* Le Liber de compostione astrolabi, qui date de 1141, est
l’un des premiers traités occidentaux qui ne soit pas une simple
adaptation de l’arabe, inaugure une série de travaux qui vont
marquer la vie scientifique jusqu’au XVIIe siècle.
* Le Liber judiciorum,
également daté de 1141, est en fait le traité d’astrologie
commençant par
« A
philosophis astronomiam sic difinitam… »,
attribué jusqu’à récemment à Jean de Séville. Il
prétend exécuter des horoscopes établis sur une base scientifique
sûre.
Les travaux de
Raymond de Marseille montrent qu’il fut un des premiers érudits
latins à utiliser les acquis de l’astronomie d’Al-Zarqâlluh,
Arzachel des Latins, notamment la
|
critique et à
en enrichir la tradition astronomique latine.
Reprenant la critique andalouse de les spéculations du modèle
ptolémaïque avec ses épicycles, excentriques et déférents sans
donner des prévisions astronomiques nettes, il préfère chercher
comment calculer avec précision les positions des planètes. Les Tables de Marseille
annoncent celles de Crémone, de Toulouse, de Pise, de Malines, etc.,
qui vont fleurir aux
XIIe
et
XIIIe
siècles. L’assimilation
des arabes dont il fait preuve dans son
traité sur l’astrolabe
inaugure en outre une série de travaux qui vont marquer la vie
scientifique jusqu’au
XVIIe
siècle.
Il se distingué
enfin par l’intérêt qu’il
portait à l’astrologie, qui ne se distinguait pas alors de
l’'astronomie,
dans les préoccupations : il est probablement le
premier des astronomes médiévaux à faire de cette dicipline le
fondement et la justification de son activité scientifique.
|
2.
Hermann de Carinthie et son disciple Rodolphe de Bruges, à Toulouse
et Béziers :
Hermann de Carinthie
Hermann est né en Dalmatie d’où
son nom Hermann de Carinthie ou le Dalmate, en latin Hermanus de
Carinthiae ou Dalmata. Lui-même préférait se faire appeler Hermanus Secundus pour le
distinguer de Hermanus Contractus, érudit en Thuringe dans la
première moitié du
XIe
connu pour ses travaux en astronomie.
Il fait probablement ses études
dans un monastère bénédiction d’Istrie
et séjourne dans les années 1130-1134 à Paris où il apprend les
sciences et la philosophie où il devient disciple de Thierry, chef
de file de l’école
platonicienne de Chartres. Accompagné de Robert de Ketton avec qui se
lie d’amitié
lors d’un
bref séjour en Angleterre en 1134, il part la même année pour
Constantinople et Damas, où il se passionne pour l’astronomie
et les mathématiques arabes. Retour en Europe en 1138, il fréquente
à nouveau les cours de Thierry de Chartres.
En Espagne en 1141,
Hermann et Robert se retrouvent avec Pierre le Vénérable. La
rencontre a lieu, aux dires de ce dernier,
«
sur les bords de l’Èbre
», peut-être Saragosse, reconquise en 118 par Alphonse
Ier,
et
l’abbé
de Cluny les enjoints alors, du fait de leur bonne connaissance de l’arabe,
à participer à un collectif de traducteurs du Coran et d’autres
textes présentant la religion islamique dans le but de critiquer
cette dernière. C’est
en Espagne qu’il
se lie à Dominique Gundisalvi qui a constitué à Tolède, à la fin des
années 1130, son équipe de traducteurs de textes scientifiques
et philosophiques arabes.
Ce développement illustre chez les clercs latins, une mobilité qui
nous semble être aujourd’hui
un des paramètres de la modernité. Et cela n’est
pas tout, car son voyage n'est pas terminé... |
La première traduction connue de
Hermann est les Fatidica, soit le Kitâb akhkam al-nujûm
de Sahl b. Bishr, qu’il effectue en Espagne en 1138. On sait qu’il produit à
León
l’Introductorium
in astronomiam,
qui est la traduction nouvelle du
Makhdal al-kabîr
d’Abû Macshar,
et le
De revolutionibus nativitatum,
traduction du
Kitâb Akhkam Tahâwîl sinî l-mawâlîd
du même auteur. Il produit ensuite, après Adélard de Bath qui les
effectua en 1125,
deux nouvelles traductions, les
Tabulae astronomiae,
qui sont le
Zîj al-Sindhind
d’Al-Khwârizmî dans la version de
Maslama Al-Majrîtî,
et les
Elementa
d’Euclide à partir de leur version arabe d'Al-Hajjâj.
Nous le retrouvons le 1er juin 1143
à Toulouse où, tandis qu’il
poursuit sa tâche d’enseignent, il achève le Planisphaerium Ptolemei, nom donné au
Tastîh bast al-kura
de Maslama al-Majrîtî, qui recompose en fait la version arabe perdue d’un
commentaire de Théon d’Alexandrie.
Et c’est au cours de la même année qu’il écrit
le
De essentiis,
traité astronomique et cosmologique où il cherche une synthèse entre
l’aristotélisme, l’hermétisme arabe et le platonisme acquis à
l’école de Chartres. Il ressort de cet ouvrage qu’il connaît l’Almageste
dans ses sources arabes, ce qui est confirmé sa correspondance avec
Robert de Ketton où nous apprenons que l’étude de ce texte est un de
ses buts fondamentaux, et le Zîj al-Sabî’ d’Al-Battanî
–
Albategnius pour |

Hermann de Carinthie tenant un astrolabe, dessin de Matthieu Paris,
XIIIe
s. |
les clercs latins –, soit
les « Tables astronomiques du Sabéen », par ailleurs traduits entre
1138 et par Platon de Tivoli sous le titre de
De motu stellarum fixarum.
En fait il
faudra encore attendre une trentaine d’années pour que Gérard de
Crémone donne à Tolède la version latine de l’Almageste. |
Rodolphe de Bruges
Né à Bruges, il eut pour maître, tout comme Hermann de Carinthie, le
philosophe platonicien Thierry de Chartres. Se passionnant pour les
sciences mathématiques, il s’enquit d’apprendre l’arabe pour
connaître leurs développements les plus récents et c'est ainsi qu’il
rejoint les passions de Hermann dont il est connu comme le disciple.
Comme lui, il se rend en Espagne et y rencontre Dominique Gundisalvi,
ou du moins des membres de son équipe de traducteurs comme on peut
le déduire du fait qu’il
dédicace son traité de l’astrolabe
à Johannes David
–
qui doit être le Joannes Avendauth / Ibn Dawûd, un des membres de
l’équipe
de traducteurs formée autour de Dominique Gondisalvi. Et l’on
peut imaginer qu’il apprend
la langue arabe au cours de ce voyage.
A-t-il participé avec Hermann de
Carinthie à la traduction du Planisphaerium au quel il fait
référence dans ses écrits ? C’est
en tout cas à lui
que nous devons
un
De compositione et usu astrolabii,
qui
contient une table astronomique tout à fait originale, composée en
1144 à la latitude de Béziers.
Rodolphe y fait notamment allusion référence au à Alcaurismus, c’est-à-dire
Al-Khwârizmî dont Hermann vient également de donner une
seconde version des Tabulae astronomiae.
|
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II.
L’astronomie au XIIIe siècle :
1.
Guillaume l’Anglais à Marseille :
|

Érudits en discussion (XIIIe
siècle) |
Tout ce que nous savons de Guillaume l’Anglais, « citoyen de
Marseille », est qu’il vivait dans cette ville durant la première
moitié du
XIIIe
siècle.
Son ouvrage le plus connu est
son De urina non visa per astrologiam, qui date de 1219,
traité médico-astrologique où il expose l’emploi de l’horoscope du
patient pour en déduire les qualités de son urine lorsque celle-ci
ne peut être récupérée afin de procéder au diagnostic.
Nous lui devons également
plusieurs autres ouvrages astrologiques, une Astrologia
marsiliensis et Tractatus de meteoris qui apparaît aussi
sous le nom de
Summa super quarto libro metheorum.
Guillaume
aurait voyagé à Tolède entre 1225 et 1231 et y aurait rédigé un Astrolabium Arzachelis en tandem avec Yehûdâ ben Môshê
qui a déjà donné, avec son Libro de la azafea, une version
espagnole du Kitâb al-camal
bi-l-safîhat al-zîjiyya
d’Al-Zarqâlluh. |
On peut ajouter qu’il établit en 1231 une Tabula de stellis
fixis
secundum Arzachelem, que Jacob Ibn Tibbon reprendra en 1263 dans leur Saphea Arzachelis en 1263 (voir
plus loin : II.4 : Jacob Ibn Tibbon).
Le quadrans vetus, soit
« quadrant ancien », à distinguer du quadrans novus,
introduit par Jacob Ibn Tibbon (voir plus loin), est un quadrant
horaire universel qui permet, à la différence des quadrants plus
anciens encore, d’établir grâce à une disposition de cercles
différents, l’altitude du soleil sous les différentes latitudes.
Ce quadrant, né à Baghdad au
IXe
siècle, fut introduit en Europe par Montpellier ou Marseille à la
fin du IXe
siècle. Mais c’est
à Guillaume que l’on doit, dans
sa Saphea, la première allusion à cet instrument. Les
développements théoriques et pratiques de son utilisation seront
dus, au cours du
XIIIe
siècle, à toute une série de traités, notamment celui de Robert
l’Anglais (voir plus loin) pour rester dans la partie du monde latin
qui nous intéresse.
Guillaume montre, puisqu’il fait explicitement référence dans son
Astrologia, qu'il est au fait des dernières avancées par les
astronomes arabes, non seulement la théorie des trépidations de
Thâbit b. Qurra, le Thabet des Latins, et d’Al-Zarqâlluh, ce qui
paraît naturel puisqu’il a traduit ce dernier auteur, mais également
la théorie planétaire qui cherche à éviter les excentriques et les
épicycles de Ptolémée qui figure dans le Kitâb al-Hay'a ou « Livre d’astronomie » de Nûr al-Dîn
Al-Bitrûjî, l’Alpetragius des Latins, que Michael Scot, avec qui est
est en rapport, vient de
traduire de son côté en latin en 1217.
|
2.
Robert l’Anglais à Béziers :
Robert l’Anglais, Robertus Anglicus pour les Latins, est un personnage assez énigmatique dont nous
savons pourtant surement qu’il
enseigna à l’université de Montpellier et probablement à celle de
Paris dans le denier tiers du
XIIIe
siècle.
|
C’est
au moins en partie à Montpellier que fut composé entre 1264 et
1267 le
traité intitulé Quadrans vetus qui donne aux chercheurs de
Montpellier et de Paris des instructions pour calculer les latitudes
de ces deux cités.
L’ouvrage s’inscrit dans la suite du Tractatus de quadrante
de Jean de Sacrobosco / John of Holywood, daté de 1245-1250, qui s’inspire
fortement des travaux de Maslama al-Mafrîtî et du pseudo-Messahalah,
c’est-à-dire
en fait d’Ibn
al-Saffâr, et la
Practica quadrantis de Campanus de Novara, datée de 1255-1260.
Le nombre de copies qui ont circulé montre l’intérêt
qu’il eut pour les érudits latins.
Si l’ouvrage
ne présente pas une grande originalité par rapport aux aux
des autres astronomes de son époque,
nous lui devons le constat de l’échec des horlogers et émet l’espoir
que celui-ci n’est que provisoire quand Robert écrit : « les
artisans horlogers s’efforcent de fabriquer un cercle qui soit
mobile selon le mouvement du cercle, |

Quadrans vetus du XIVe
siècle,
Florence, Istituto e Museo de storia
della scienza |
mais ils n’ont pas encore réussi ; s’ils réussissaient, leur horloge serait
vraiment excellente, meilleure que l’astrolabe ou quelque autre
instrument astronomique pour connaître l’heure ». Il est clair que
ceci marque une date dans le passage pratique aux heures égales.
|
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3.
Moshe ben Samuel
et Jacob ben Machir Ibn Tibbon à Marseille et Montpellier
La famille Ibn Tibbon a fourni pendant un siècle et demi
plusieurs générations d'érudits remarquables à partir de 1150. C’est
à cette date où le rabbin Juda ben Saul quitte Grenade,
troublée par les événements qui accompagnent la conquête de
l’Espagne musulmane par les Almohades, pour s’installer à Lunel,
petite cité languedocienne située à mi-chemin entre Montpellier et
Nîmes.
Judah (1120-1190), le fondateur de ce qu’il est convenu
d’appeler la dynastie de Tibbonides, traduit de l’arabe en hébreu
des textes fondamentaux de la pensée religieuse hébraïque écrit en
arabe comme le Kitâb Islâh al-Akhlâq ou « Livre de la
correction des qualités morales » de Shelomo Ibn Gabirôl, l’Aviceron
des Latins ou le Kitâb al-huyya wa-l-dalil
fî nusr al-dîn al-dhalîl ou « Livre de l’argumentation
pour assister la défense de la religion méprisée » de Yehûda ha-Levî
/Juda Halevi.
Son fils Samuel (1150-1230), né à Lunel, critiqué par lui
comme un jeune entêté aux tendances anti-intellectuelles, suivit
cependant à l’âge adulte les traces de son père en quittant Lunel
pour Arles, Béziers et Marseille. Outre les traductions médicales
comme les Commentaires de Galen par
cAlî bin Radwân, il s’illustra par la
traduction, à la demande de quelques érudits de Lunel dont Jonathan
ha-Kohen, des travaux philosophiques de Môshê ben Maymôn /
Maimonide avec lequel il se mit en rapport pour bénéficier de ses
conseils, et tout particulièrement son œuvre
maîtresse, la Dalâlat al-hâ’irîn ou « Guide des égarés ».
Nous nous attacherons
particulièrement à trois membres de cette dynastie, du fait de leurs
traductions en matière d’astronomie.
Jacob
ben Abba Mari ben Simson Anatoli
Jacob, né peut-être à Marseille vers 1194, vécut à Narbonne
et Béziers et mourut en 1256. Frère de l'épouse de Samuel, il devint
ensuite son gendre, et fut étroitement associé à son travail. Il
traduisit lui-même Maimonide. Sa renommée
lui valut d’être invité à Palerme par Frédéric II, Stupor
mundi,
afin de l’initier à la philosophie juive et à participer
à la diffusion des œuvres scientifiques arabes. C’est à
qu’il connut
Michel Scot avec qui il aurait participé à la traduction du
Guide des égarés en latin.
Si son œuvre maîtresse est le Malmar al-Talmidim ou «
L’Aiguillon des disciples », ouvrage d'une grande ouverture d’esprit
cherchant à prendre le meilleur chez tous les peuples, il traduisit
abondamment, et l’on compte parmi ses traductions de l’arabe en hébreu les ouvrages d’astronomie suivants :
*
l’Almageste de Ptolémée à partir du Kitab al-Mijistî ,
soit la version arabe d’Al-Hajjâj.
* le
Mukhtaṣar
al-Majisṭī
ou « Abrégé de
l’Almageste
»
d’Ibn Rush / Averroès,
accompli en 1236. Il semble que ce travail n’a jamais été mis en
latin, et la version de Jacob nous conserva seule cette œuvre,
perdue en langue arabe.
* le
Kitâb fî
harakât al-samâwiyya,
« Livre des mouvements
célestes
», ou
Jawâmic
cilm
al-nujûm,
«
Recueils d’astronomie
», existant
déjà en latin depuis 1135 avec la
Brevis ac perutilis compilatio, de
Jean de Séville. Mais
c’est la version hébraïque de Jacob
qui sera
traduite en 1590 par Jacob Christman sous le titre Chronologia et
astronomica elementa.
Moshe ben Samuel Ibn Tibbon
Né à Marseille probablement au début du
XIIIe siècle, il exerce la médecine à Montpellier où il très tôt
affecté par les décisions du Concile de Béziers de 1246 qui interdit
aux Juifs de soigner des Chrétiens. Il s’oppose à la charge que le rabbin Abba Mari
ha-Yahri, appelé en en occitan En Astruc de Lunel, mène contre les
enseignements de Maïmonide dans laquelle il voir une attaque contre
son père, Samuel, et Jacob qu’il nomme à diverses reprises « mon
oncle».
La longévité lui permet de traduire de l’arabe en hébreu une
liste impressionnante d’ouvrages religieux ou philosophiques de
Moshê ben Maymon / Maimonide, d’Ibn Rushd / Averroès, Al-Fârâbî et
autres. On lui doit aussi des textes médicaux, des textes
mathématiques, et surtout
des ouvrages astronomiques, notamment :
*
l’Islâh al-Majistî ou « Correction de l’Almageste » de Jâbir
bin Aflâh, le Geber des Latins (1100-1150), qui critique les bases
mathématiques de l’ouvrage de Ptolémée et dont les travaux furent
diffusés en Égypte et au Moyen-Orient par Môshê ben Maymôn /
Maïmonide, et que Gérard de Crémone a déjà rendu en latin vers sous le
titre Gebri filii
Affla Hispenensis IX libri de astronomia.
Comme cette traduction est également indiquée dans le liste de
celles de son neveu Jacob ben Makhir, il n’est pas impossible qu’elle
soit due à leur collaboration si l’on pense que les deux érudits
furent actifs sur une place de temps commune comprenant au minimum
les années 1260 et 1270.
*
le Kitâb al-Ha’ya ou « Livre d’astronomie » de Nûr al-Dîn
Al-Bitrûjî, l’Alpetragius des Latins, en 1246, dont la version déjà
effectuée en 1217 par Michael Scot vient a déjà été mentionnée
précédemment. |
Jacob ben Makhir Ibn Tibbon
Mais c’est surtout Jacob, neveu de Samuel, qui s’illustra
dans le domaine de l’astronomie.
Il est
possible qu’il soit né à Marseille, ceci en 1236, mais il
partagea sa vie entre Lunel où
il apprit
pendant sa jeunesse l’arabe qui était la langue pratiquée
dans la
famille, et Montpellier où il est probable qu’il mourut, ceci en
1304 ou 1305.
|

Le Guide des Égarés
(manuscrit du
XIVe
siècle) |
Le sous
lequel s’est étendue sa renommée, Don Profeit en occitan, Profatius
en latin, reste assez obscur.
Mais avant d’évoquer ses travaux dans ce domaine, il est
utile de signaler les autres facettes de son activité.
Il aurait assuré la
fonction de régent de Faculté de médecine de Montpellier et il semble que l’attitude énergique de la communauté de
Montpellier dans la bataille contre les détracteurs de Maïmonide,
notamment le rabbin Anna Mari ha-Yahri, de son nom occitan En Astruc
de Lunel,
où l’ont entraîné son oncle Moshe et ses cousins Juda, qui fut rabbin de
Montpellier et Samuel, les fils du précédent,
soit tout particulièrement due à son influence.
Il proteste notamment contre la lecture faite en 1304 d’une lettre
de Shelomo ben Adret de Barcelone, le rabbin légaliste chef de
la communauté juive espagnole, qui jette l’anathème sur ceux qui
veulent lire la philosophie de Maïmonide.
Son activité astronomique est considérable. Comme son oncle Moshe,
il traduit des textes philosophiques et religieux, mais c’est son
activité dans le domaine astronomique qui est la plus importante.
Nous pouvons compter dans ce domaine les
traductions de l’arabe en hébreu suivantes :
|
* le
Kitâb al-camal
bi-l-asturlâb
ou « Traité d’usage de l’astrolabe » d’Abû l-Qâsim Ahmad Ibn al-Saffâr.
* le Kitâb al-camal
bi-l-kurra al-nujûmiyya,
ou « Traité d’usage de la sphère armillaire », de Qusta b. Lûqâ,
en 1256.
* le Kitâb al-Kura al-mutaharrika ou « Traité de
la sphère en mouvement », version arabe par Ishhâq b. Hunayn
du traité d’Autolykos
de Pitane, effectuée vers 1273, sachant qu’en était déjà faite une
version latine par Gérard de Crémone, vers 1175.
* le
Kitâb al-ashkâl al-kurriyya ou « Traité des figures
sphériques »,
connu en latin sous le nom de
Sphaerica, sachant que c’est
par sa version arabe que nous connaissons le traité remarquable de
Ménélaus d’Alexandrie
(fin du 1er siècle ap. J.-C.), qui enrichit la géométrie de la
sphère appliquée à l’astronomie.
* la préface au Kitâb
al-Hay’a
ou « Traité d’astronomie » d’Abraham bar Hiyya, le Savasorda des
Latins.
* le
Qawl fî Hay’at al-calam ou « propos
sur l’astronomie » d’Ibn al-Haytham, Alhazen pour les latins.
* un extrait du Kitâb al-Mijistî ou « Almageste » sur l’arc
de cercle. |
Sa traduction la
plus fameuse est cependant la version latine, effectuée en 1256,
Kitâb al-camal
bi-l-safîhat al-zîjiyya,
« Traité d’usage de la saphea [ou tympan des tables
astronomiques] », d’Al-Zarqâlluh.
Ce dernier a
remplacé, pour l’astrolabe, le jeu de
sasfiya-s,
c’est-à-dire de tympans valables pour les différentes latitudes, par
une
safiyya
unique, universelle, c’est-à-dire valable pour toutes les latitudes.
Une telle innovation
intéressa tout naturellment les astronomes latins et fit le succès
de la traduction en latin de ce texte, qui suit celle que fit en
1231 Guillaume de Marseille du
Zîj
ou « Tables astronomiques » d’Al-Zarqâlluh sous le titre
Compostio tabulae quae Saphaea dicitur sive astrolabium Arzacheli.
|

Al-Zarqâlluh / Arzaquiel et sa
saphea
(timbre postal espagnol) |
La traduction de
Jacob Ibn Tibbon, qui date de 1263, s’effectue en deux temps avec
Jean de Brescia : Jacob rendant oralement le texte arabe en occitan
et Jean mettant par écrit cette version intermédiaire en latin, ce
qui donne le Liber operationis tabulae quae nominatur Saphea
patris Isaac Arzachelis. |

Un quadrans
novus daté vers 1325
Smithonian Air
& Space Museum |
Mais Jacob ne s’est
pas contenté de traduire des textes arabes. Sa renommée lui vient
surtout de la fabrication d’un instrument qu’il nomma, comme l’indique
le titre de son traité écrit entre 1288 et 1299, Robac
Yisrael : ce nom signifie littéralement « Quadrant d’Israël »,
et les Latins nommèrent quadrans judaiecus, en référence à
son auteur, et, plus souvent encore,
quadrans novus
pour le distinguer de celui qui fut introduit à la fin du
XIe
siècle (voir plus haut avec Guillaume l’Anglais), notamment décrit
par Robert Anglès (voir plus haut) et nommé
quadrans vetus.
Imaginé par les
astronomes arabes au
XIe
sou
XIIe
siècle pour résoudre des problèmes d’astronomie
sphérique en combinant la géométrie et la trigonométrie, cet
instrument, également connu sous le nom d’astrolabe-quadrant qui
part de l’idée que la projection stéréographique qui définit les
composants d’un astrolabe planisphérique est encore valable si les
diverses parties
|
de
l’astrolabe sont pliées dans un quart de cercle. Le résultat est que
cet instrument peut exécuter de nombreuses fonctions de l’astrolabe
standard
mais à beaucoup plus bas le coût sans toutefois donner la
représentation du ciel que fournit l’araignée. Une traduction
latin en fut faite à Montpellier dès 1299 par Armengaud de Blaise à
qui Jacob dictait, selon l’usage,
en langue commune, c’est-à-dire
en occitan. Jacob donna en 1301 une nouvelle version corrigée de son
traité.
On
lui doit également des
Luḥot be-seder,
ou « Tables calendaires
» composées en 1300 vue de
l’établissement d’un almanach perpétuel la connues en latin sou le
nom d’Almanach perpetuum ou Almanach de Dante, du fait
que le poète en possédait une copie et l’utilisa dans ses écrits.
Ces travaux valurent à Jacob Ibn Tibbon
une renommée qui parcourra le Moyen-Âge, ce qui lui vaut d’être
mentionné à plusieurs reprises par Nicolas Copernic dans sa
Révolution des orbes célestes.
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Pour davantage de détails, te nomment les
référence bibliographiques, voir :
Données sur l’astronomie en Languedoc &
Provence aux XIIe-XIIIe siècles (fichier complet)
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