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 Mise à jour le 12/11/2010

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Données sur l’astronomie

en Languedoc & Provence

aux XIIe-XIIIe siècles

(fichier réduit)  

 

Texte établi par Roland Laffitte

 

AU SOMMAIRE DE CETTE PAGE :

Introduction

L’astronomie au XIIe siècle :

Raymond de Marseille

Hermann de Carinthie et Rodolphe de Bruges à Toulouse et Béziers   

L’astronomie au XIIIe siècle :  

Guillaume l’Anglais à Marseille

Robert l’Anglais à Montpellier

Moshe et Jacob Ibn Tibbon à Marseille et Montpellier  

Enluminure du XIVe siècle

 

 

INTRODUCTION

L’astronomie fut après les époques hellénistique et byzantine, le fait de la science arabe, c’est-à-dire de la science de langue arabe, laquelle put bénéficier, grâce à une formidable entreprise de traduction, sur le patrimoine astronomique immense en langue grecque mais aussi sur les connaissances indiennes et perses, et apporta à son tour au savoir en ce domaine prestigieux un essor considérable.

Pour comprendre les caractères des débuts de l’astronomie dans le Monde latin médiéval, il faut tenir compte du fait que la tradition de l’astronomie latine classique est relativement faible et que les textes grecs à disposition est insignifiante. Les érudits éprouvent donc le besoin de s’abreuver des connaissances en possession des Arabes. Ils ont parfaitement conscience que ces derniers ne sont pas les simples détenteurs du savoir antique mais aussi les acteurs d’un savoir neuf et riche. C’est dans un second temps qu’ayant assimilé les connaissances transmises grâce aux traductions de l’arabe au latin que les astronomes médiévaux peuvent innover et s’adonner à des recherches innovantes.

Maître arabe et disciple latin

(gravure du XVIe siècle)

Dans un premier temps, c’est-à-dire de la fin du Xe siècle juste et dans la première partie du XIe siècle, le patrimoine astronomique arabe est transmis à partir de la Catalogne et se diffuse alors, peut-être par l’intermédiaire de Saint-Fleury près d’Orléans, vers Reims et Chartres d’un côté, la Lorraine et le Bade de l’autre. La prise de la ville de Tolède par Alphonse VI de Castille en 1085 met livre des trésors scientifiques aux mains des Latins et fournit l’occasion de constituer, au cours du XIIe siècle, des équipes de traducteurs qui fournissent un énorme travail dans tous les domaines, notamment dans celui de l’astronomie.

Tolède constitue toujours, au XIIIe siècle, un pôle de traduction important notamment autour d’Alphonse X qui touchait lui-même à l’astronomie, mais les lieux de transmission se démultiplient : il faut signaler Palerme, autour de l’empereur Frédéric II, et les travaux effectuées dans les universités comme Bologne et Padoue, Paris ou Oxford où s’activent d’excellents arabisants.

Du fait de l’installation de familles juives venues d’Andalousie, les Languedoc, notamment avec l’université de Montpellier, apparaît comme une extension de l’espace ibérique pour ce qui est de l’acquisition de l’héritage scientifique arabe. A ce courant participent des érudits comme Rodolphe de Bruges qui enseigne à Toulouse, et Guillaume l’Anglais, citoyen de Marseille, puis Jacob Ibn Tibbon.

De son côté, l’Italie, avec Palerme, puis Bologne et Padoue, constitueront une aire d’activité assez distincte.

Comment s’inscrivent les villes de Languedoc et de Provence dans ce mouvement ? Si nous devons mentionner ces deux entités politiques, c’est qu’elles à l’époque séparées par une frontière. Au premier abord, le Languedoc est aux XIIe et XIIIe siècles sous l’autorité des comtes de Toulouse, vassaux de la couronne de France, tandis que le royaume de Provence fait partie du Saint empire romain-germanique. Les choses sont cependant plus compliquées.

Du point de vue politique, les vicissitudes des alliances et des héritages dynastiques conduisent en 1125 au partage de la Provence entre le comte de Toulouse, dont l’origine est Saint-Gilles, au sud-est de Nîmes, et la maison de Catalogne.

De ce fait, la partie des États provençaux sous le contrôle de Toulouse va être entraînée  dans la tempête de la croisade des Albigeois qui conduit à priver Toulouse de ses possessions provençales en 1216.

Au sortir de cette période troublée, la Provence revient à la maison d’Anjou dont les regards sont tournées vers la

Languedoc et Provence au temps de Philippe Auguste, soit le début du XIIIe siècle

 (les territoires frappés par le croisade des Albigeois sont hachurés)

 Sicile, le Piémont et la péninsule italienne, tandis qu’en 1271, le comté de Toulouse entre dans le domaine royal de France.

Du point de vue social et culturel, la frontière géographique et politique du Rhône ne réduit pas le continuum du tissu humain. Un exemple en est donné par la famille Ibn Tibbon, émigrée de Grenade en 1150 : elle s’installe à Lunel, petite cité située entre à Nîmes et Montpellier, mais les descendants sont actifs, tout au long du XIIIe siècle, aussi bien à Marseille qu’à Arles, Montpellier et Béziers.

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I. L’astronomie au XIIe siècle :

 

1. Raymond de Marseille :

On ne sait pas grand chose de la vie Raymond de Marseille, sauf qu’il fut actif dans les années 1130-1140. On lui attribue cependant les ouvrages : 

Érudit médiéval

(miniature du  XIIe siècle)

* Le Liber cursuum planetarum témoigne de la permanence de la culture latine antique et consiste en la première adaptation, dans le calendrier chrétien et pour une ville d’Europe, Marseille, des tables planétaires dites de Tolède, conçues et mises en forme par Al-Zarqâlluh, l’Azarchel des Latins. Cet ouvrage contient en outre toutes sortes de considérations sur la place de l’astrologie.

* Le Liber de compostione astrolabi, qui date de 1141, est l’un des premiers traités occidentaux qui ne soit pas une simple adaptation de l’arabe, inaugure une série de travaux qui vont marquer la vie scientifique jusqu’au XVIIe siècle.

* Le Liber judiciorum, également daté de 1141, est en fait le traité d’astrologie commençant par « A philosophis astronomiam sic difinitam… », attribué jusqu’à récemment à Jean de Séville. Il prétend exécuter des horoscopes établis sur une base scientifique sûre.

Les travaux de Raymond de Marseille montrent qu’il fut un des premiers érudits latins à utiliser les acquis de l’astronomie d’Al-Zarqâlluh, Arzachel des Latins, notamment la

critique et à en enrichir la tradition astronomique latine. Reprenant la critique andalouse de les spéculations du modèle ptolémaïque avec ses épicycles, excentriques et déférents sans donner des prévisions astronomiques nettes, il préfère chercher comment calculer avec précision les positions des planètes. Les Tables de Marseille annoncent celles de Crémone, de Toulouse, de Pise, de Malines, etc., qui vont fleurir aux XIIe et XIIIe siècles. Lassimilation des arabes dont il fait preuve dans son traité sur lastrolabe inaugure en outre une série de travaux qui vont marquer la vie scientifique jusqu’au XVIIe siècle.

Il se distingué enfin par l’intérêt qu’il portait à l’astrologie, qui ne se distinguait pas alors de l’'astronomie, dans les préoccupations : il est probablement le premier des astronomes médiévaux à faire de cette dicipline le fondement et la justification de son activité scientifique.

 

2. Hermann de Carinthie et son disciple Rodolphe de Bruges, à Toulouse et Béziers :

Hermann de Carinthie

Hermann est né en Dalmatie doù son nom Hermann de Carinthie ou le Dalmate, en latin Hermanus de Carinthiae ou Dalmata. Lui-même préférait se faire appeler Hermanus Secundus pour le distinguer de Hermanus Contractus, érudit en Thuringe dans la première moitié du XIe connu pour ses travaux en astronomie.

Il fait probablement ses études dans un monastère bénédiction dIstrie et séjourne dans les années 1130-1134 à Paris où il apprend les sciences et la philosophie où il devient disciple de Thierry, chef de file de lécole  platonicienne de Chartres. Accompagné de Robert de Ketton avec qui se lie damitié lors dun bref séjour en Angleterre en 1134, il part la même année pour Constantinople et Damas, où il se passionne pour lastronomie et les mathématiques arabes. Retour en Europe en 1138, il fréquente à nouveau les cours de Thierry de Chartres.

En Espagne en 1141, Hermann et Robert se retrouvent avec Pierre le Vénérable. La rencontre a lieu, aux dires de ce dernier, « sur les bords de l’Èbre », peut-être Saragosse, reconquise en 118 par Alphonse Ier, et labbé de Cluny les enjoints alors, du fait de leur bonne connaissance de l’arabe, à participer à un collectif de traducteurs du Coran et dautres textes présentant la religion islamique dans le but de critiquer cette dernière. Cest en Espagne quil se lie à Dominique Gundisalvi qui a constitué à Tolède, à la fin des années 1130,  son équipe de traducteurs de textes scientifiques et philosophiques arabes. 

Ce développement illustre chez les clercs latins, une mobilité qui nous semble être aujourdhui un des paramètres de la modernité. Et cela nest pas tout, car son voyage n'est pas terminé...

La première traduction connue de Hermann est les Fatidica, soit le Kitâb akhkam al-nujûm  de Sahl b. Bishr, qu’il effectue en Espagne en 1138. On sait qu’il produit à León l’Introductorium in astronomiam, qui est la traduction nouvelle du Makhdal al-kabîr d’Abû Macshar, et le De revolutionibus nativitatum, traduction du Kitâb Akhkam Tahâwîl sinî l-mawâlîd du même auteur. Il produit ensuite, après Adélard de Bath qui les effectua en 1125, deux nouvelles traductions, les Tabulae astronomiae, qui sont le Zîj al-Sindhind d’Al-Khwârizmî dans la version de Maslama Al-Majrîtî, et les Elementa d’Euclide à partir de leur version arabe d'Al-Hajjâj.

Nous le retrouvons le 1er juin 1143 à Toulouse où, tandis quil poursuit sa tâche denseignent, il achève le Planisphaerium Ptolemei, nom donné au Tastîh bast al-kura de Maslama al-Majrîtî, qui recompose en fait la version arabe perdue dun commentaire de Théon dAlexandrie.

Et c’est au cours de la même année qu’il écrit le De essentiis, traité astronomique et cosmologique où il cherche une synthèse entre l’aristotélisme, l’hermétisme arabe et le platonisme acquis à l’école de Chartres. Il ressort de cet ouvrage qu’il connaît l’Almageste dans ses sources arabes, ce qui est confirmé sa correspondance avec Robert de Ketton où nous apprenons que l’étude de ce texte est un de ses buts fondamentaux, et le Zîj al-Sabî’ d’Al-Battanî Albategnius pour

Hermann de Carinthie tenant un astrolabe, dessin de Matthieu Paris, XIIIe s. 

les clercs latins ,  soit les « Tables astronomiques du Sabéen », par ailleurs traduits entre 1138 et par Platon de Tivoli sous le titre de De motu stellarum fixarum. En fait il faudra encore attendre une trentaine d’années pour que Gérard de Crémone donne à Tolède la version latine de l’Almageste.

 

Rodolphe de Bruges

Né à Bruges, il eut pour maître, tout comme Hermann de Carinthie, le philosophe platonicien Thierry de Chartres. Se passionnant pour les sciences mathématiques, il s’enquit d’apprendre l’arabe pour connaître leurs développements les plus récents et c'est ainsi quil rejoint les passions de Hermann dont il est connu comme le disciple. Comme lui, il se rend en Espagne et y rencontre Dominique Gundisalvi, ou du moins des membres de son équipe de traducteurs comme on peut le déduire du fait quil  dédicace son traité de lastrolabe à Johannes David qui doit être le Joannes Avendauth / Ibn Dawûd, un des membres de  léquipe de traducteurs formée autour de Dominique Gondisalvi. Et lon peut imaginer qu’il apprend la langue arabe au cours de ce voyage.      

A-t-il participé avec Hermann de Carinthie à la traduction du Planisphaerium au quel il fait référence dans ses écrits ? C’est en tout cas à lui que nous devons un De compositione et usu astrolabii, qui contient une table astronomique tout à fait originale, composée en 1144 à la latitude de Béziers. Rodolphe y fait notamment allusion référence au à Alcaurismus, cest-à-dire Al-Khwârizmî dont Hermann vient également de donner une seconde version des Tabulae astronomiae.

 

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II. L’astronomie au XIIIe siècle :

 

 

1. Guillaume l’Anglais à Marseille :

 


 Érudits en discussion (XIIIe siècle)

Tout ce que nous savons de Guillaume l’Anglais, « citoyen de Marseille », est qu’il vivait dans cette ville durant la première moitié du XIIIe siècle.

Son ouvrage le plus connu est son De urina non visa per astrologiam, qui date de 1219, traité médico-astrologique où il expose l’emploi de l’horoscope du patient pour en déduire les qualités de son urine lorsque celle-ci ne peut être récupérée afin de procéder au diagnostic. Nous lui devons également plusieurs autres ouvrages astrologiques, une Astrologia marsiliensis et Tractatus de meteoris qui apparaît aussi sous le nom de Summa super quarto libro metheorum.

Guillaume aurait voyagé à Tolède entre 1225 et 1231 et y aurait rédigé un Astrolabium Arzachelis en tandem avec Yehûdâ ben Môshê qui a déjà donné, avec son Libro de la azafea, une version espagnole du Kitâb al-camal bi-l-safîhat al-zîjiyya d’Al-Zarqâlluh.

 On peut ajouter qu’il établit en 1231 une Tabula de stellis fixis secundum Arzachelem, que Jacob Ibn Tibbon reprendra en 1263 dans leur Saphea Arzachelis en 1263 (voir plus loin : II.4 : Jacob Ibn Tibbon).

Le quadrans vetus, soit « quadrant ancien », à distinguer du quadrans novus, introduit par Jacob Ibn Tibbon (voir plus loin), est un quadrant horaire universel qui permet, à la différence des quadrants plus anciens encore, d’établir grâce à une disposition de cercles différents, l’altitude du soleil sous les différentes latitudes. Ce quadrant, né à Baghdad au IXe siècle, fut introduit en Europe par Montpellier ou Marseille à la fin du IXe siècle. Mais cest à Guillaume que l’on doit, dans sa Saphea, la première allusion à cet instrument. Les développements théoriques et pratiques de son utilisation seront dus, au cours du XIIIe siècle, à toute une série de traités, notamment celui de Robert l’Anglais (voir plus loin) pour rester dans la partie du monde latin qui nous intéresse.

Guillaume montre, puisqu’il fait explicitement référence dans son Astrologia, qu'il est au fait des dernières avancées par les astronomes arabes, non seulement la théorie des trépidations de Thâbit b. Qurra, le Thabet des Latins, et d’Al-Zarqâlluh, ce qui paraît naturel puisqu’il a traduit ce dernier auteur, mais également la théorie planétaire qui cherche à éviter les excentriques et les épicycles de Ptolémée qui figure dans le Kitâb al-Hay'a ou « Livre d’astronomie » de Nûr al-Dîn Al-Bitrûjî, l’Alpetragius des Latins, que Michael Scot, avec qui est est en rapport, vient de traduire de son côté en latin en 1217.   

 

2. Robert l’Anglais à Béziers :

Robert l’Anglais, Robertus Anglicus pour les Latins, est un personnage assez énigmatique dont nous savons pourtant surement quil enseigna à l’université de Montpellier et probablement à celle de Paris dans le denier tiers du XIIIe siècle.

Cest au moins en partie à Montpellier que fut composé entre 1264  et 1267 le traité intitulé Quadrans vetus qui donne aux chercheurs de Montpellier et de Paris des instructions pour calculer les latitudes de ces deux cités. Louvrage s’inscrit dans la suite du Tractatus de quadrante de Jean de Sacrobosco / John of Holywood, daté de 1245-1250, qui sinspire fortement des travaux de Maslama al-Mafrîtî et du pseudo-Messahalah, cest-à-dire en fait dIbn al-Saffâr, et la Practica quadrantis de Campanus de Novara, datée de 1255-1260. Le nombre de copies qui ont circulé montre l’intérêt qu’il eut pour les érudits latins.

Si louvrage ne présente pas une grande originalité par rapport aux  aux des autres astronomes de son époque, nous lui devons le constat de l’échec des horlogers et émet l’espoir que celui-ci n’est que provisoire quand Robert écrit : « les artisans horlogers s’efforcent de fabriquer un cercle qui soit mobile selon le mouvement du cercle,

Quadrans vetus du XIVe siècle,

Florence, Istituto e Museo de storia della scienza

mais ils n’ont pas encore réussi ; s’ils réussissaient, leur horloge serait vraiment excellente, meilleure que l’astrolabe ou quelque autre instrument astronomique pour connaître l’heure ». Il est clair que ceci marque une date dans le passage pratique aux heures égales.

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3. Moshe ben Samuel et Jacob ben Machir Ibn Tibbon à Marseille et Montpellier 

La famille Ibn Tibbon a fourni pendant un siècle et demi plusieurs générations d'érudits remarquables à partir de 1150. C’est à cette date  où le rabbin Juda ben Saul quitte Grenade, troublée par les événements qui accompagnent la conquête de l’Espagne musulmane par les Almohades, pour s’installer à Lunel, petite cité languedocienne située à mi-chemin entre Montpellier et Nîmes.

Judah (1120-1190), le fondateur de ce qu’il est convenu d’appeler la dynastie de Tibbonides, traduit de l’arabe en hébreu des textes fondamentaux de la pensée religieuse hébraïque écrit en arabe comme le Kitâb Islâh al-Akhlâq ou « Livre de la correction des qualités morales » de Shelomo Ibn Gabirôl, l’Aviceron des Latins ou le Kitâb al-huyya wa-l-dalil fî nusr al-dîn al-dhalîl ou « Livre de l’argumentation pour assister la défense de la religion méprisée » de Yehûda ha-Levî /Juda Halevi.

Son fils Samuel (1150-1230), né à Lunel, critiqué par lui comme un jeune entêté aux tendances anti-intellectuelles, suivit cependant à l’âge adulte les traces de son père en quittant Lunel pour Arles, Béziers et Marseille. Outre les traductions médicales comme les Commentaires de Galen par cAlî bin Radwân, il s’illustra par la traduction, à la demande de quelques érudits de Lunel dont Jonathan ha-Kohen, des travaux philosophiques de Môshê ben Maymôn / Maimonide avec lequel il se mit en rapport pour bénéficier de ses conseils, et tout particulièrement son œuvre maîtresse, la Dalâlat al-hâ’irîn ou « Guide des égarés ». 

Nous nous attacherons particulièrement à trois membres de cette dynastie, du fait de leurs traductions en matière d’astronomie.   

Jacob ben Abba Mari ben Simson Anatoli

Jacob, né peut-être à Marseille vers 1194, vécut à Narbonne et Béziers et mourut en 1256. Frère de l'épouse de Samuel, il devint ensuite son gendre, et fut étroitement associé à son travail. Il traduisit lui-même Maimonide. Sa renommée lui valut d’être invité à Palerme par Frédéric II, Stupor mundi, afin de l’initier à la philosophie juive et à participer à la diffusion des œuvres scientifiques arabes. C’est à qu’il connut Michel Scot avec qui il aurait participé à la traduction du Guide des égarés en latin. Si son œuvre maîtresse est le Malmar al-Talmidim ou « L’Aiguillon des disciples », ouvrage d'une grande ouverture d’esprit cherchant à prendre le meilleur chez tous les peuples, il traduisit abondamment, et l’on compte parmi ses traductions de l’arabe en hébreu les ouvrages d’astronomie suivants :

* l’Almageste de Ptolémée à partir du Kitab al-Mijistî , soit la version arabe d’Al-Hajjâj.

* le Mukhtaṣar al-Majisṭī ou « Abrégé de l’Almageste » d’Ibn Rush / Averroès, accompli en 1236. Il semble que ce travail n’a jamais été mis en latin, et la version de Jacob nous conserva seule cette œuvre, perdue en langue arabe.  

* le Kitâb fî harakât al-samâwiyya, « Livre des mouvements célestes », ou Jawâmic cilm al-nujûm, « Recueils d’astronomie », existant déjà en latin depuis 1135 avec la Brevis ac perutilis compilatio, de Jean de Séville. Mais c’est la version hébraïque de Jacob qui sera traduite en 1590 par Jacob Christman sous le titre Chronologia et astronomica elementa.

Moshe ben Samuel Ibn Tibbon

Né à Marseille probablement au début du XIIIe siècle, il exerce la médecine à Montpellier où il très tôt affecté par les décisions du Concile de Béziers de 1246 qui interdit aux Juifs de soigner des Chrétiens. Il s’oppose à la charge que le rabbin Abba Mari ha-Yahri, appelé en en occitan En Astruc de Lunel, mène contre les enseignements de Maïmonide dans laquelle il voir une attaque contre son père, Samuel, et Jacob qu’il nomme à diverses reprises « mon oncle». 

La longévité lui permet de traduire de l’arabe en hébreu une liste impressionnante d’ouvrages religieux ou philosophiques de Moshê ben Maymon / Maimonide, d’Ibn Rushd / Averroès, Al-Fârâbî et autres. On lui doit aussi des textes médicaux, des textes mathématiques, et surtout des ouvrages astronomiques, notamment :

* l’Islâh al-Majistî ou « Correction de l’Almageste » de Jâbir bin Aflâh, le Geber des Latins (1100-1150), qui critique les bases mathématiques de l’ouvrage de Ptolémée et dont les travaux furent diffusés en Égypte et au Moyen-Orient par Môshê ben Maymôn / Maïmonide, et que Gérard de Crémone a déjà rendu en latin vers sous le titre Gebri filii Affla Hispenensis IX libri de astronomia. Comme cette traduction est également indiquée dans le liste de celles de son neveu Jacob ben Makhir, il n’est pas impossible qu’elle soit due à leur collaboration si l’on pense que les deux érudits furent actifs sur une place de temps commune comprenant au minimum les années 1260 et 1270.  

* le Kitâb al-Ha’ya ou « Livre d’astronomie » de Nûr al-Dîn Al-Bitrûjî, l’Alpetragius des Latins, en 1246, dont la version déjà effectuée en 1217 par Michael Scot vient a déjà été mentionnée précédemment.

Jacob ben Makhir Ibn Tibbon

Mais c’est surtout Jacob, neveu de Samuel, qui s’illustra dans le domaine de l’astronomie. Il est possible qu’il  soit né à Marseille, ceci en 1236, mais il partagea sa vie entre Lunel où il apprit pendant sa jeunesse l’arabe qui était la langue pratiquée dans la famille, et Montpellier où il est probable qu’il mourut, ceci en 1304 ou 1305.

Le Guide des Égarés

(manuscrit du XIVe siècle)

Le sous lequel s’est étendue sa renommée, Don Profeit en occitan, Profatius en latin, reste assez obscur. Mais avant d’évoquer ses travaux dans ce domaine, il est utile de signaler les autres facettes de son activité.

Il aurait assuré la fonction de  régent de Faculté de médecine de Montpellier et il semble que l’attitude énergique de la communauté de Montpellier dans la bataille contre les détracteurs de Maïmonide, notamment le rabbin Anna Mari ha-Yahri, de son nom occitan En Astruc de Lunel, où l’ont entraîné son oncle Moshe et ses cousins Juda, qui fut rabbin de Montpellier et Samuel, les fils du précédent, soit tout particulièrement due à son influence. Il proteste notamment contre la lecture faite en 1304 d’une lettre de  Shelomo ben Adret de Barcelone, le rabbin légaliste chef de la communauté juive espagnole, qui jette l’anathème sur ceux qui veulent lire la philosophie de Maïmonide.  

Son activité astronomique est considérable. Comme son oncle Moshe, il traduit des textes philosophiques et religieux, mais c’est son activité dans le domaine astronomique qui est la plus importante. Nous pouvons compter dans ce domaine les traductions de l’arabe en hébreu suivantes :

* le Kitâb al-camal bi-l-asturlâb ou « Traité d’usage de l’astrolabe » d’Abû l-Qâsim Ahmad Ibn al-Saffâr.

* le Kitâb al-camal bi-l-kurra al-nujûmiyya, ou « Traité d’usage de la sphère armillaire », de Qusta b. Lûqâ, en 1256.

* le Kitâb al-Kura  al-mutaharrika ou « Traité de la sphère en mouvement », version arabe par Ishhâq b. Hunayn du traité  d’Autolykos de Pitane, effectuée vers 1273, sachant qu’en était déjà faite une version latine par Gérard de Crémone, vers 1175.

* le Kitâb al-ashkâl al-kurriyya ou « Traité des figures sphériques », connu en latin sous le nom de Sphaerica, sachant que c’est par sa version arabe que nous connaissons le traité remarquable de Ménélaus d’Alexandrie (fin du 1er siècle ap. J.-C.), qui enrichit la géométrie de la sphère appliquée à l’astronomie.

* la préface au  Kitâb al-Hay’a  ou « Traité d’astronomie » d’Abraham bar Hiyya, le Savasorda des Latins.

* le Qawl fî Hay’at al-calam ou « propos sur l’astronomie » d’Ibn al-Haytham, Alhazen pour les latins.

* un extrait du Kitâb al-Mijistî ou « Almageste » sur l’arc de cercle.

Sa traduction la plus fameuse est cependant la version latine, effectuée en 1256,  Kitâb al-camal bi-l-safîhat al-zîjiyya, « Traité d’usage de la saphea [ou tympan des tables astronomiques] », d’Al-Zarqâlluh.

Ce dernier a remplacé, pour l’astrolabe, le jeu de sasfiya-s, c’est-à-dire de tympans valables pour les différentes latitudes, par une safiyya unique, universelle, c’est-à-dire valable pour toutes les latitudes.

Une telle innovation intéressa tout naturellment les astronomes latins et fit le succès de la traduction en latin de ce texte, qui suit celle que fit en 1231 Guillaume de Marseille du Zîj ou « Tables astronomiques » d’Al-Zarqâlluh sous le titre Compostio tabulae quae Saphaea dicitur sive astrolabium Arzacheli.

Al-Zarqâlluh  / Arzaquiel et sa saphea

(timbre postal espagnol)

La traduction de Jacob Ibn Tibbon, qui date de 1263, s’effectue en deux temps avec Jean de Brescia : Jacob rendant oralement le texte arabe en occitan et Jean mettant par écrit cette version intermédiaire en latin, ce qui donne le Liber operationis tabulae quae nominatur Saphea patris Isaac Arzachelis.

Un quadrans novus daté vers 1325

Smithonian Air & Space Museum

Mais Jacob ne s’est pas contenté de traduire des textes arabes. Sa renommée lui vient surtout de la fabrication d’un instrument qu’il nomma, comme lindique le titre de son traité écrit entre 1288 et 1299, Robac Yisrael  : ce nom signifie littéralement « Quadrant d’Israël », et les Latins nommèrent quadrans judaiecus, en référence à son auteur, et, plus souvent encore, quadrans novus pour le distinguer de celui qui fut introduit à la fin du XIe siècle (voir plus haut avec Guillaume l’Anglais), notamment décrit par Robert Anglès (voir plus haut) et nommé quadrans vetus.

Imaginé par les astronomes arabes au XIe sou XIIe siècle pour résoudre des problèmes dastronomie sphérique en combinant la géométrie et la trigonométrie, cet instrument, également connu sous le nom d’astrolabe-quadrant qui part de l’idée que la projection stéréographique qui définit les composants d’un astrolabe planisphérique est encore valable si les diverses parties 

de l’astrolabe sont pliées dans un quart de cercle. Le résultat est que cet instrument peut exécuter de nombreuses fonctions de l’astrolabe standard mais à beaucoup plus bas le coût sans toutefois donner la représentation du ciel que fournit l’araignée.  Une traduction latin en fut faite à Montpellier dès 1299 par Armengaud de Blaise à qui Jacob dictait, selon lusage, en langue commune, cest-à-dire en occitan. Jacob donna en 1301 une nouvelle version corrigée de son traité.

On lui doit également des Luḥot be-seder, ou « Tables calendaires » composées en 1300 vue de l’établissement d’un almanach perpétuel la connues en latin sou le nom d’Almanach perpetuum ou Almanach de Dante, du fait que le poète en possédait une copie et l’utilisa dans ses écrits.

Ces travaux valurent à Jacob Ibn Tibbon une renommée qui parcourra le Moyen-Âge, ce qui lui vaut d’être mentionné à plusieurs reprises par Nicolas Copernic dans sa Révolution des orbes célestes.

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Pour davantage de détails, te nomment les référence bibliographiques, voir :

Données sur l’astronomie en Languedoc & Provence aux XIIe-XIIIe siècles (fichier complet)

 

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