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 Mise à jour le 06/05/2014

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L’imaginaire céleste,

outil de connaissance astronomique

 

 

Texte de Roland Laffitte paru dans le numéro 2014 de Planétariums,

revue de l’APLF (Association des Planétariums de Langue Française), p. 73-75.

Qui n’a pas été saisi par le spectacle grandiose et éclatant du ciel étoilé ? La répétition éternelle des mouvements célestes, qui s’exprime dans la magnificence du ciel nocturne, procure un sentiment d’harmonie avec le cosmos. Le merveilleux que l’homme projette dans cette manifestation naturelle se traduit par un imaginaire fastueux que rendent les constellations, propres aux différentes cultures et civilisations. Il y a dans cet imaginaire fabuleux un entrée pour aborder de façon agréable, voire ludique, les phénomènes astronomiques, lesquels seraient sans cela bien arides, et donc un outil pédagogique précieux.

Laissons de côté le besoin des hommes de l’Antiquité de déchiffrer les intentions des dieux à leur égard[1], qui est à la base de l’astrologie. Passons également sur les développements captivants de l’astronomie moderne, qui s’est mise à l’exploration des profondeurs de l’espace. Pour l’astronomie traditionnelle, l’astronomie à l’œil nu, la connaissance du mouvement des astres a deux objets fondamentaux : le repérage dans le temps, ce qui a donné les calendriers, et le repérage sur la terre et sur mer, à l’origine de la géographie – notez que l’homothétie entre la terminologie de l’arpentage de la sphère céleste et celui de la sphère terrestre −, et ce qu’en termes modernes, on nomme la géolocalisation.

La contexturation de la voûte céleste en constellations est, indépendamment de sa valeur culturelle propre à élargir l’horizon de la jeunesse, un bon instrument mnémotechnique pour sa description. Or les figures célestes et leur agencement varient avec les civilisations et les cultures, dans lesquelles elles satisfont des besoins pratiques par le prisme de préoccupations symboliques. C’est pourquoi elles répondent de façon plus ou moins adéquate aux exigences de l’initiation à l’astronomie. Il entre donc dans les exigences d’une bonne pédagogie de bien choisir, dans l’abondance des figures célestes que nous livrent les différents peuples, les plus susceptibles de rendre compte, en premier lieu, de la localisation des étoiles les unes par rapport aux autres et, en second lieu, du repérage temps et de celui de l’espace, sachant que le manque place imparti nous oblige à laisser de côté ce dernier dans le cadre de cet article. Et là encore, nous laisserons de côté le Soleil et les planètes pour nous limiter aux étoiles, traditionnellement regroupées en constellations.

1. La description du ciel

Le mouvement des étoiles circumpolaires fournit un premier exemple de ce besoin de tri. Il donne lieu, dans la plupart des civilisations, à des présentations intéressantes. On utilise volontiers la mythologie de la punition de la nymphe Callisto. Le fait que les Sept étoiles brillantes du Nord soient dédiées à l’Ours(e), un des animaux-rois non seulement des régions septentrionales de l’Amérique du Nord, mais encore des marches euro-asiatiques où les peuples de langues et de cultures indo-européennes trouvent leur origine, n’a rien pour surprendre : Ursa Maior est bien l’« Ourse » en sanskrit, dans le ciel de l’Inde, soit Riksa, et en grec Arktos. Aucune surprise non plus dans le fait que cet animal soit le symbole de déesses dont le nom dérive de cet animal : c’est le cas d’Artio pour les Gaulois et, chez les Grecs, d’Artémis. Mais pour délicieuse que soit la légende qui met en scène la transformation en ourse de la malheureuse suivante de cette dernière, on discerne mal sa fonction astronomique[2]. Il en va tout à fait différemment dans le ciel arabe, qui met en scène un convoi funéraire, celui des Banāt Naš, « les Filles de Nasch » (voir Figure 1). Accusant de la mort de leur père al-Juday, personnifiant la Polaire, mais ne pouvant l’atteindre du fait de l’interposition de Deux Médiatrices, β et γ UMi, elles tournent sans fin autour du Pôle. Chez les Chinois, les Sept étoiles brillantes d’UMa, c’est-à-dire celles du Grand Chariot babylonien puis grec, sont situées sur le Char de l’Empereur qui fait le tour de l’Enceinte pourpre. On notera l’intérêt de cette représentation, qui embrasse dans un ensemble cohérent une bonne partie des étoiles visibles toute l’année sous nos latitudes boréales.

Figure 1 : Banāt Naš, « les Filles de Nasch » dans le ciel arabe.

Le ciel de l’été livre un second exemple. Nous apprenons à repérer le Triangle de l’été constitué par les étoiles α Lyr, α Cyg et α Aql, soit Véga, Deneb et Altaïr. Seul ici le ciel chinois lie ces trois étoiles dans une présentation commune donnée par le récit de Zhinü et Niulang, « la Tisserande et de Bouvier » (voir Figure 2). Cet intérêt astronomique vient s’ajouter au caractère charmant de cette légende, par ailleurs extrêmement populaire dans l’aire de civilisation chinoise, puisque sa célébration correspond à ce qui est chez nous la Saint-Valentin.

Figure 2 : Zhinü et Niulang, « la Tisserande et le Bouvier » dans le ciel chinois.

Le ciel de l’hiver constitue un troisième exemple. On y voit évoluer une figure immense. Elle prend chez les Grecs l’allure du géant Orion qui est une adaptation du Šitādālu, littéralement « le Géant » babylonien, et se retrouve à peu sous le même diagramme en Chine avec Shēn, « les Trois ». Sa forme est toutefois quelque un peu différente chez les Arabes puisque son tracé, qui déborde largement sur l’espace des constellations voisines, soit Gemini, Lepus et Monoceros, évoque une divinité chasseresse, al-Ğawza’, littéralement « la Médiane », qui nous fournit le nom de l’étoile α Lyr, à savoir Bételgeuse  (Voir Figure 31). Nous avons là quantité de représentations toutes aussi captivantes les unes que les autres suivant les différents peuples.

Figure 3 : La figure d’al-Ğawzā’ , « la Médiane » dans le ciel arabe.

On signalera toutefois, chez les Arabes, l’agencement de nombreuses figures rassemblées en une scène unique et offrant par conséquent un outil mnémotechnique particulièrement efficace pour décrire une bonne partie du ciel d’hiver. C’est ainsi que Suhayl, soit α Car, marque le Sud vers lequel ce personnage s’enfuit, terriblement honteux, après avoir malencontreusement brisé les vertèbres de son épousée, al-Ğawza’, en entrant dans sa couche. Il est suivi par ses sœurs, les deux Shic dont nous avons fait Aschère : la première, nous l’avons pendant des siècles nommée Alhabor, qui est l’arabe al-cAbūr, « la Traversière », avant de lui restituer sa vieille appellation grecque, Sirius ; l’autre, Algomeisa, « Celle qui a les yeux chassieux », désolée d’être restée sur la rive nord de la Voie lactée, qui n’est autre que α UMi, a aujourd’hui retrouvé son nom grec classique, Procyon et a vu son nom déplacé sur β UMi.

Les levers et couchers simultanés qui prennent dans l’arpentage du ciel une grande importance, permettent un quatrième exemple. Cela peut être fait grâce au lien établi très tôt dans les différentes cultures entre deux astérismes que nous retrouverons d’ailleurs plus loin : l’un, δεζ Ori, est situé au centre d’Orion, l’autre, σατ Sco, est symétriquement au cœur du Scorpion. Si cette simultanéité est consignée, au titre de la pure observation astronomique, dans le traité babylonien MUL.APIN, qui date du milieu du XVIIe siècle avant notre ère, Aratos la traduit en une scène mythologique dans ses Phénomènes où l’on peut lire : « lorsque le Scorpion survient au-dessus de l’horizon, Orion s’enfuit jusqu’aux extrémités de la terre » (v. 645-646). Mais la plus belle légende qui lie les deux astérismes est due aux Chinois qui les personnifient par les deux fils de l’empereur Gaoxinshi, Shichen et Ebo, en perpétuelle querelle et, pour cette raison allégué, leur père éloigne en les assignant chacun de deux en des xiu, littéralement « astérismes » servant de stations lunaires, les plus éloignées possible l’une de l’autre, Shēn et Xīn, et donc opposites sur l’écliptique (voir Figure 3).

Figure 4: Ebo et Sichen, les deux fils de l’Empereur Gao Xinshi dans le ciel chinois.

2. Le marquage du temps

Il existait autrefois, selon les siècles et selon les peuples, de multiples manières de marquer le temps et le découper.

Le cours de l’année. Avant même d’établir des calendriers fondés sur les positions de la terre par rapport au Soleil, celle des étoiles dans le ciel nocturne a servi à scander le temps. Il existe un grand choix d’exemples pour illustrer la détermination des saisons par la position des étoiles brillantes du ciel boréal par rapport à la Polaire. Un des plus parlant est pris aux Amérindiens Meskawi, qui traduisent un comput élémentaire dans une scène de chasse à l’Ours particulièrement éloquente.

Chez les Touaregs, la figure de cet animal, naturellement inconnu, cède la place à celle d’une immense Chamelle dont les quatre Pattes correspondant au quadrilatère d’UMa, et nous allons, en passant par les Cervicales, jusqu’à la Tête, située sur α Boo, soit Arcturus (voir Figure 5). La position de ces différentes étoiles dans le ciel oriental au lever de la nuit donne un calendrier pour la période allant du 1er octobre au 15 novembre, intermédiaire entre la saison des pluies et la saison froide.

 

Figure 3 : Talamt n-Awara, « La Chamelle et son Chamelon » dans le ciel touareg.

Chez de nombreux peuples, ce sont les étoiles de l’écliptique qui ont permettent de scander l’année. Un des plus vieux computs connus est, à la fin du IIIe millénaire avant notre ère, celui des Égyptiens qui le divisaient en 36 stations, la première étant fixée par le lever héliaque de Sirius, dont l’importance ne tenait pas seulement au fait qu’elle est l’étoile la plus brillante du ciel, mais encore à ce qu’elle correspondait en ces temps anciens à la crue du Nil et au solstice d’été. Chinois, Indiens et Arabes ont de leur côté divisé l’écliptique en 28 stations lunaires ayant valeur autant météorologique, comme les fêtes des almanachs européens, qu’astrologiques. Nous n’avons donc que l’embarras du choix pour illustrer ce phénomène. Notons toutefois que les 28 stations lunaires sont à l’origine de noms d’étoiles qui figurent aujourd’hui dans les catalogues internationaux.

L’horloge de la nuit. Sous nos latitudes, les astérismes opposites que nous avons déjà évoqués, à savoir δεζ Ori et σατ Sco servent tout à tour d’horlogers de la nuit. Le premier se lève en effet à l’est, en plein hiver, une heure après le coucher du Soleil et se couche à l’ouest une heure avant que le lever du Soleil. Quant au second, moins visible car située plus bas sur horizon, son parcours dans le ciel d’été est plus court que celui du premier et la mesure du temps qu’il donne est toutefois moins heureuse que celle de l’horloge des nuits d’hiver. Cet intéressant phénomène est un prétexte pour revenir au récit sur le couple d’opposites formé par δεζ Ori et σατ Sco, qui  sont en Chine les xiu Shēn et Xīn, et sur la légende chinoise des fils de l’empereur Gao Xinshi, qui l’illustre parfaitement.

L’horloge de la nuit. Sous nos latitudes, les astérismes opposites que nous avons déjà évoqués, à savoir δεζ Ori et σατ Sco servent tout à tour d’horlogers de la nuit. Le premier se lève en effet à l’est, en plein hiver, une heure après le coucher du Soleil et se couche à l’ouest une heure avant que le lever du Soleil. Quant au second, moins visible car située plus bas sur horizon, son parcours dans le ciel d’été est plus court que celui du premier et la mesure du temps qu’il donne est toutefois moins heureuse que celle de l’horloge des nuits d’hiver. Cet intéressant phénomène est un prétexte pour revenir au récit sur le couple d’opposites formé par δεζ Ori et σατ Sco, qui  sont en Chine les xiu Shēn et Xīn, et sur la légende chinoise des fils de l’empereur Gao Xinshi, qui l’illustre parfaitement.

On pourrait ainsi établir une bonne collection de légendes astrales fournies par les différentes civilisations et de cultures d’hier et d’aujourd’hui, sélectionnées pour leur efficacité à illustrer des phénomènes astronomiques retenus à des fins d’enseignement, et cela en rapport avec le public auquel on s’adresse et l’angle selon lequel ils sont abordés.

 


[1] Voir à cet égard mon article intitulé « Sur l’astrologie et- sa critique par Ibn Sīnā / Avicenne », dans Planétariums de mai 2012, p. 9.

[2] Roland Laffitte anime le site www.uranos.fr dédié au volet culturel de l’astronomie et aux représentations célestes. Il est l’auteur du livre intitulé Le ciel des Arabes− Apport de l’uranographie arabe (*), Paris : Geuthner, 2012. Le présent article reprend et développe l’intervention qu’il fit au 29e Colloque de l’APLF, tenu à Saint-Michel-l’Observatoire les 9-12 mai 2013.

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